Les frontières ne sont pas des barrières. Ecouter la souffrance de l’autre sans trop le juger et condamner.

Un moment de grâce et de bénédiction, la rencontre ACEAC qui s’est tenue à Goma du samedi 27 au mardi 30 Janvier 2024. Leurs Eminences les Cardinaux du Rwanda et de la R.D.Congo avec leurs Excellences Archevêques et évêques venus de nos trois pays (Burundi, R.D.Congo, Rwanda), accompagnés de leurs délégations respectives se sont donnés rendez-vous à Goma pour célébrer, témoigner et partager les joies et les peines de nos frères et sœurs de l’Est de la  R.D.Congo, une décision faisant suite à la visite de Pape François chez nous et de la rencontre du Comité permanent de l’ACEAC à Rome au mois d’octobre 2023.

Depuis sa création, en 1984, cette Association des Conférences des Evêques de l’Afrique Centrale, à travers son Secrétariat Justice et Paix reste attentive au cri et à la misère que vivent leurs compatriotes de ces trois pays. Son message face à la permanence des conflits violents est resté constant : être du côté de l’opprimé, du déplacé, du pauvre, de l’orphelin, de la veuve, du réfugié dont les droits sont bafoués, niés, violés, volés de manière très délibérée pour s’assurer des intérêts pourtant très éphémères ; il est temps d’agir.

Un signe particulier d’espoir est venu en 2013 avec le lancement de la Campagne Paix aux Grands Lacs à laquelle la rencontre de Goma a voulu donner un élan nouveau au regard du contexte tant singulier qui caractérise nos trois pays déchirés par ces conflits violents et une méfiance qui portent atteinte à la cohésion sociale en bloquant l’épanouissement du meilleur vivre ensemble.

Nos compatriotes attendent beaucoup de leurs Pasteurs car ils rêvent tous voir un engagement plus effectif et efficace de l’Eglise dans la recherche de la paix, la mobilisation de la communauté nationale et internationale par le retour de la cohésion sociale et la consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs et l’accompagnement des peuples pour sortir de la misère.

Ces attentes correspondent d’ailleurs à la mission de l’ACEAC si bien articulée par nos Pasteurs : « Les peuples des Grands Lacs soulagés de leurs souffrances, assument leurs diversités, vivent en sécurité, collaborent entre eux et avec les autorités pour la bonne gouvernance, la dignité de chacun, la consolidation de la paix et le développement humain intégral ».

Le rendez-vous de Goma a été un moment propice pour revisiter cette vision, en prenant des orientations pastorales claires et courageuses de manière à rejoindre les périphéries existentielles dans lesquelles nos compatriotes croupissent, de manière inhumaine, dans la misère avec la présence des camps des déplacés internes et réfugiés qui ne garantissent pas l’épanouissement de la dignité humaine. Et à dire vrai, aller dans ces camps vous déchire les cœurs et vous crève les yeux car combien d’oreilles faut-il à un homme pour écouter le cri de son semblable ? On dirait que ceux à qui profitent l’économie de la guerre ne veulent rien entendre de la paix. C’est criminel et inhumain.

Il faut alors mobiliser tout le monde car ‘’trop c’est trop’’ a dit son Eminence à la messe en s’adressant aux chrétiens. Les autorités administratives, politiques et étatiques, avec un accent particulier sur les dirigeants et les politiciens chrétiens, les jeunes et les femmes, surtout les membres des groupes apolitiques, les Institutions et Décideurs de la Communauté internationale, les Conférences Episcopales Nationales, les communautés locales, les Organisations et la Société Civile , les groupes armés et milices conjointement avec les chefs coutumiers qui sont parfois en complicité avec eux : chacun et chacune doit être une partie de la solution en se mettant du bon côté de l’histoire, en abandonnant le chemin du mal qui commence dans le cœur. Il faut renoncer à s’habituer aux tueries en endurcissant le cœur et en optant pour des choix politiques ou économiques qui tuent et recyclent la misère et les guerres…

Il faut être Pèlerins de la paix, Sentinelles de la paix, Artisans de la paix, Ambassadeurs de la paix pour redonner un visage humain à cette Sous-Région que le ciel nous a gracieusement donnée et où il fait beau vivre. Nous sommes des voisins naturels et nous sommes condamnés à vivre ensemble dans le respect mutuel et la fraternité responsable.

Nous l’avions tous entendu et même chanté : les frontières ne sont pas des barrières. Ailleurs des dirigeants politiques s’associent pour être plus forts, mais on dirait que les nôtres choisissent d’ériger des murs et non des ponts en transformant nos villages et nos campagnes en des prisons à ciel ouvert où les gens sont apparemment en paix mais suffoquent sous le poids d’une terreur sans nom.

Ecouter l’autre, écouter sa souffrance sans le juger ou le condamner dévient un préalable pour renouer le dialogue indispensable pour rallumer le feu de l’amour et la bougie de l’espoir dans cette sous-région des Grands-Lacs. Il est plus facile de camper sur ses positions, en considérant l’autre comme une menace à éliminer même de manière préventive mais le sang n’a que trop coulé et il est temps d’arrêter la roue de la haine et la spirale des guerres fratricides qui nous humilient et empêchent notre développement humain intégral.

Nos Commissions Diocésaines Justice et Paix étaient au rendez-vous de Goma et nous sommes décidés à faire notre part en partenariat avec tous et toutes, avec les Organisations du monde humanitaire présentes chez nous, avec toutes les Dynamiques femmes et paix, avec nos frères et sœurs de toutes les Confessions religieuses car nous sommes tous frères et sœurs. Nous voulons la paix et rien que la paix ; construisons des ponts et non des murs.

          Les habitants de cette Sous-Région des Grands Lacs partagent à différents degrés la même histoire, le même climat, les mêmes lacs et rivières, leurs cathédrales, églises, temples et mosquées se regardent… la diversité existe et elle ne devrait pas être une menace mais une opportunité. Malheureusement ces mêmes habitants partagent les mêmes drames avec des guerres à répétition  qui produisent des réfugiés, des déplacés, des enfants de la rue aux identités confuses, des conflits identitaires qui traversent des frontières avec des messieurs qui imposent des lois chez autrui… il y a beaucoup de jeunes fauchés à la fleur de l’âge, des veuves interdites de revendications et pire, ces espaces sont devenus tristement célèbres comme des régions des femmes violées et des minerais de sang. Chaque famille dans cette sous-région connait l’expérience d’avoir eu des membres réfugiés, déplacés ou gratuitement tués avec interdiction ou incapacité de deuil…

Il est facile de désigner les bourreaux et les agresseurs mais l’essentiel est de faire ce voyage de la tête au cœur pour reconnaitre ses propres erreurs dans le drame en cours en prenant la ferme résolution de changer positivement. Nous sommes plusieurs naufragés, plusieurs traumatisés, plusieurs blessés, peut-être même à vie mais, comme croyants, personne ne doit voler notre espérance en imposant le chemin de la haine ou de l’exclusion, de l’intolérance mais résistons avec les armes de la foi en sachant que du calvaire on aperçoit le Thabor.