Jamais homme n’a parlé de manière claire comme ce Pape en évoquant la misère structurelle dont souffre ce pays. Il s’adresse à nos autorités, à la société civile, au corps diplomatique. Nous devons nous approprier cette interpellation et exiger des comptes d’abord à nous-mêmes puis
aux autres. Certains d’entre nous sont des acteurs visibles et invisibles
du malheur dont nous souffrons. Il y a une volonté de nous maintenir
la tête sous les eaux mais il faut une volonté politique de s’en sortir et
chacun doit jouer sa partition. Les acteurs de la société civile doivent
exiger des comptes et un jeu transparent à tout le monde.
Papa François est réellement un prophète. Nous sommes un diamant de la création. Ecoutons-le :
« Dès le début de mon voyage, je souhaite donc lancer un appel : que chaque Congolais se sente appelé
à jouer son rôle ! Que la violence et la haine n’aient plus de place dans le cœur et sur les lèvres de
quiconque, car ce sont des sentiments inhumains et anti-chrétiens qui paralysent le développement et
ramènent en arrière, vers un sombre passé.
En parlant de frein au développement et de retour au passé, il est tragique que ces lieux, et plus
généralement le continent africain, souffrent encore de diverses formes d’exploitation. Il y a cette devise
qui sort de l’inconscient de tant de cultures et de tant de personnes : “L’Afrique doit être exploitée”, cela
est terrible ! Après le colonialisme politique, un “colonialisme économique” tout aussi asservissant s’est
déchainé. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses
ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent “étranger” à ses habitants.
Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde
économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche. Mais ce pays et ce
continent méritent d’être respectés et écoutés, ils méritent espace et attention : Retirez vos mains de la
République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle
n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste de son destin !
Que le monde se souvienne des désastres commis au cours des siècles au détriment des populations
locales et qu’il n’oublie pas ce pays ni ce continent. Que l’Afrique, sourire et espérance du monde,
compte davantage : qu’on en parle davantage, qu’elle ait plus de poids et de représentation parmi les
nations !
Une diplomatie de l’homme pour l’homme, des peuples pour les peuples, doit se déployer, selon laquelle
les opportunités de croissance des personnes soient au centre, et non le contrôle des zones et des
ressources, les visées d’expansion et l’augmentation des profits.
En regardant ce peuple, on a l’impression que la Communauté internationale s’est presque résignée à la
violence qui le dévore. Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des
décennies désormais, faisant des millions de morts à l’insu de beaucoup. Il faut que l’on sache ce qui se
passe ici, que les processus de paix en cours, – que j’encourage de toutes mes forces – soient soutenus
dans les faits et que les engagements soient tenus. Grâce à Dieu, il y en a qui contribuent au bien de la
population locale et à un réel développement à travers des projets efficaces: non pas des interventions
de pure assistance, mais des plans visant à une croissance intégrale. J’exprime toute ma gratitude aux
pays et aux organisations qui fournissent des aides substantielles en ce sens, en contribuant à la lutte
contre la pauvreté et les maladies, soutenant l’État de droit et promouvant le respect des droits humains.
Je forme le vœu qu’ils puissent continuer à jouer pleinement et courageusement ce noble rôle.
Revenons à l’image du diamant. Une fois travaillé, sa beauté provient également de sa forme, de ses
nombreuses facettes harmonieusement disposées. Ce pays, riche de son pluralisme typique, a lui aussi
un caractère polyédrique. C’est une richesse qui doit être conservée, en évitant de glisser dans le
tribalisme et la confrontation. Prendre obstinément parti pour sa propre ethnie ou pour des intérêts
particuliers, alimentant des spirales de haine et de violence, tourne au détriment de tous en bloquant la
nécessaire “chimie de l’ensemble”. À propos de chimie, il est intéressant de noter que les diamants sont
constitués des seuls atomes de carbone, lesquels, s’ils étaient reliés différemment, formeraient du
graphite. La différence entre la luminosité d’un diamant et l’obscurité du graphite provient de la manière
dont les atomes individuels sont disposés dans le réseau cristallin. Cette métaphore exprime le fait que
le problème n’est pas la nature des hommes ou des groupes ethniques et sociaux, mais la manière dont
on décide d’être ensemble. La volonté ou non de se rencontrer, de se réconcilier et de recommencer fait
la différence entre l’obscurité du conflit et un avenir lumineux de paix et de prospérité.
Chers amis, le Père céleste veut que nous sachions nous accueillir comme les frères et sœurs d’une même
famille, et travailler à un avenir qui soit avec les autres et non contre les autres. “Bintu bantu” : c’est
ainsi que l’un de vos proverbes rappelle très bien que, la vraie richesse, ce sont les personnes et les
bonnes relations entre elles. En particulier, les religions, avec leur patrimoine de sagesse, sont appelées
à y contribuer, par un effort quotidien de renoncement à toute agressivité, prosélytisme et contrainte, qui
sont des moyens indignes de la liberté humaine. Quand on en vient à imposer, en allant à la chasse aux
fidèles, de manière aveugle par la ruse ou par la force, on ravage la conscience d’autrui et on tourne le
dos au vrai Dieu, parce que – ne l’oublions pas – « là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté »
(2 Co 3, 17) e là où il n’y a pas de liberté, il n’y a pas l’Esprit du Seigneur. Les membres de la société
civile, dont certains sont ici présents, jouent également un rôle essentiel dans la construction d’un avenir
de paix et de fraternité. Ils ont souvent démontré qu’ils savaient s’opposer à l’injustice et au délabrement,
au prix de grands sacrifices, pour défendre les droits humains, la nécessité d’une éducation solide pour
tous et une vie plus digne pour chacun. Je remercie sincèrement les femmes et les hommes, en particulier
les jeunes de ce pays, qui ont souffert à divers degrés pour cela, et je leur rends hommage.
Le diamant, dans sa transparence, réfracte admirablement la lumière qu’il reçoit. Beaucoup d’entre vous
brillent par le rôle qu’ils jouent. Celui qui détient des responsabilités civiles et gouvernementales est
appelé à agir avec une clarté cristalline, en vivant la fonction reçue comme un moyen de servir la société.
Le pouvoir n’a de sens en effet que s’il devient service. Combien il est important d’agir dans cet esprit,
en fuyant l’autoritarisme, la recherche de gains faciles et la soif d’argent que l’apôtre Paul désigne
comme « la racine de tous les maux » (1 Tm 6, 10). Et en même temps, favoriser des élections libres,
transparentes, crédibles ; étendre davantage aux femmes, aux jeunes et à différents groupes, aux groupes
marginalisés, la participation aux processus de paix; rechercher le bien commun et la sécurité des
personnes plutôt que les intérêts personnels ou de groupes ; renforcer la présence de l’État partout sur le
territoire ; prendre soin des si nombreuses personnes déplacées et réfugiées. Que l’on ne se laisse pas
manipuler, et moins encore acheter, par ceux qui veulent maintenir le pays dans la violence afin de
l’exploiter et de faire des affaires honteuses : cela n’apporte que discrédit et honte, avec la mort et la
misère. Au contraire, il est bon de se rapprocher des personnes pour se rendre compte de la manière dont
ils vivent. Elles font confiance lorsqu’elles sentent que les gouvernants sont réellement proches, non pas
par calcul ou par exhibition, mais par service.
Dans la société, ce sont souvent les ténèbres de l’injustice et de la corruption qui obscurcissent la lumière
du bien. Il y a des siècles, saint Augustin, né sur ce continent, se demandait déjà : « Si la justice n’est
pas respectée, que sont les États, sinon des bandes de voleurs ? » (De civ. Dei, IV, 4). Dieu est du côté
de ceux qui ont faim et soif de justice (cf. Mt 5, 6). Il ne faut pas se lasser de promouvoir dans tous les
domaines le droit et l’équité, en luttant contre l’impunité et la manipulation des lois et de l’information.
Un diamant sort de la terre authentique mais brut, nécessitant un travail. De même, les diamants les plus
précieux de la terre congolaise que sont les enfants de cette nation doivent pouvoir bénéficier de
véritables opportunités éducatives qui leur permettent de mettre pleinement à profit leurs brillants
talents. L’éducation est fondamentale : elle est la voie de l’avenir, la route à emprunter pour atteindre la
pleine liberté de ce pays comme du continent africain. Il est urgent d’y investir afin de préparer des
sociétés qui seront fortes si elles sont bien instruites, autonomes si elles sont pleinement conscientes de
leurs potentialités et capables de les développer avec responsabilité et persévérance. Mais beaucoup
d’enfants ne vont pas à l’école : combien, au lieu de recevoir une éducation digne de ce nom, sont
exploités ! Trop d’entre eux meurent, soumis à des travaux asservissants dans les mines. Aucun effort
ne doit être ménagé pour dénoncer le fléau du travail des enfants et y mettre fin. Combien de filles sont
marginalisées et violées dans leur dignité ! Les enfants, les jeunes filles, les jeunes sont le présent de
l’espérance, ils sont l’espérance : ne permettons pas que celle-ci soit effacée, cultivons-la avec passion!
Le diamant, don de la terre, appelle à la sauvegarde de la création, à la protection de l’environnement.
Située au cœur de l’Afrique, la République Démocratique du Congo abrite l’un des plus grands poumons
verts du monde, qui doit être préservé. Comme pour la paix et pour le développement, dans ce domaine
également une collaboration large et fructueuse est importante, permettant d’intervenir efficacement,
sans imposer des modèles extérieurs plus utiles à ceux qui aident qu’à ceux qui sont aidés. Nombreux
sont ceux qui ont demandé à l’Afrique de s’engager et qui ont offert des aides afin de lutter contre le
changement climatique et le coronavirus. Ce sont certainement des opportunités à saisir, mais il y a
surtout besoin de modèles sanitaires et sociaux qui ne répondent pas seulement aux urgences du moment
mais contribuent à une croissance sociale effective : des structures solides et du personnel honnête et
compétent pour surmonter les graves problèmes comme la faim et les maladies qui entravent le
développement à sa naissance.
Enfin, le diamant est le minéral d’origine naturelle qui présente la plus grande dureté. Sa résistance aux
produits chimiques est très grande. La répétition continuelle des attaques violentes ainsi que les
nombreuses situations de détresse pourraient affaiblir la résistance des Congolais, miner leur force
d’âme, les conduire à se décourager et à s’enfermer dans la résignation. Mais, au nom du Christ qui est
le Dieu de l’espérance, le Dieu de toute possibilité qui donne toujours la force de recommencer, au nom
de la dignité et de la valeur des diamants les plus précieux de cette terre que sont ses habitants, je
voudrais inviter chacun à un nouveau départ social courageux et inclusif. L’histoire lumineuse mais
blessée du pays l’exige, les jeunes et les enfants en particulier l’implorent. Je suis avec vous et
j’accompagne par la prière et la proximité tout effort pour un avenir pacifique, harmonieux et prospère
de ce grand pays. Que Dieu bénisse la nation congolaise tout entière ! »